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Tchad: Djoret Tang interpelle Masra Succès sur certaines clauses de l'accord de principe

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Lettre de Djoret Biaka à Succès Masra 
Mon cher Succès !
Bienvenue au Tchad, terre de Toumaï! Bon retour chez toi après ce long temps d’exil forcé après ces évènements du 20 octobre qui ont endeuillé les familles Tchadiennes, qui ont secoué l'élan  de résistance, le mouvement de résistance des Tchadiens contre l’arbitraire, contre l’asservissement, contre cette politique de l’exclusion qui sapent les fondements de notre vivre-ensemble et nous enferment dans le piège de la division, contre le plan de succession dynastique piloté depuis Paris et qui enlève au peuple Tchadien toute perspective de progrès et de restauration de notre dignité. Ce retour, c’est le souhait de tous les acteurs politiques qui ont systématiquement mis en exergue cette exigence, c’est donc un soulagement pour tous.
Mais si j’invoque aujourd’hui dans cette lettre à toi adressée le pilotage depuis Paris de ce plan de succession dynastique, j’espère que j’enfonce une porte ouverte, celle d’un intellectuel qui comprend et qui n’osera pas renier lui-même ses propres paroles au risque d’être confronté à la VAR. 
Mais si je l’invoque, je voudrais aussi m’assurer que l’intellectuel engagé que tu es comprendra la suite de cette lettre et des évènements qui vont s’enchainer dorénavant et nous mener à la libération de notre peuple de tous les jougs, des acteurs intérieurs et internationaux, quels qu’ils soient. 
Oui, je ne voudrais pas m’appesantir sur les critiques souvent fondées, mais aussi celles qui sont faciles alors que l’homme politique que tu es est confronté à des choix difficiles, tant sur le plan personnel que sur le plan politique. J’imagine les moments de déchirements que tu as dû traverser, toi et ton équipe. Je ne suis pas convaincu que beaucoup de personnes feraient forcément mieux face aux enjeux que tu avais à gérer. 
Aussi, tu me comprendras, pour le respect mutuel qu’il y a entre nous, si je ne rabaisse pas le débat autour du processus françafricain ayant abouti à ton retour, processus qui a été enclenché par l’Élysée et mis en forme lors de vos rencontres vers la mı-octobre a Parıs avec le chef des renseignements Tchadiens, le franco-Tchadien qui a été cité dans les dossiers de disparition de notre leader Ibni Oumar Mahamat Saleh. Je n’évoquerais pas non plus la comédie politique qui a eu lieu au Palais de l’Unité Africaine pour donner un contenu africain à cet accord ni les enveloppes qui auraient été remises par les valets françafricains dans leurs palais cossus et qui auraient rendus aigris, jaloux et bavards les médiateurs de la CEEAC. Enfin, je ne m’appesantirais pas sur le processus exclusif qui a permis aujourd’hui ton retour et qui permet à la fois à la junte au pouvoir de mobiliser les appuis extérieurs et à la médiation de la CEEAC de sauver la mise, elle qui a été récusée par la plupart des acteurs politiques Tchadiens. 
Bienvenue donc au Tchad ! Oui, la fin justifie les moyens, c’est aussi ça la politique, me diras-tu. Bon retour sur l’arène, à toi-même et à ton parti, cette arène politique jalonnée depuis tant d’années par des accords de compromissions qui t’a fait qualifier les signataires d’accompagnateurs chevronnés de la dictature !
Une fois ceci dit, permet-moi d’évoquer quelques problèmes de fonds que pose cet accord conclu avec la junte soutenue depuis Paris afin de te suggérer quelques pistes de travail qui pourraient te sauver la mıse. Au nom de la résistance du peuple Tchadien, résistance qui doit se poursuivre jusqu’à la victoire, au nom de ce sang des Tchadiens versés pour la cause, au nom de la flamme de l’espoir que nous avons le devoir de garder vive, au nom de la dignité humaine, au nom de la justice pour laquelle nous nous sommes tous engagés, j’aimerais te suggérer, cher frère, trois choses :
1. Premièrement, ne donne pas raison à nos suspicions quant au calcul politique, au marchandage politique sur le sang versé par les Tchadiens. Oui, ton refus de collaborer avec la diaspora et les ADH, qui depuis pratiquement décembre 2020, travaillaient à saisir les juridictions internationales, pour rendre justice aux victimes sous Idriss Deby Itno, celles des évènements d’avril 2021 et des évènements suivants, avaient laissé en nous un goût amer, nous qui croyons que les calculs politiques ne pouvaient pas primer sur notre devoir de rendre justice aux martyrs. Ne confirme pas mon impression que tu réservais le dossier des victimes pour un marchandage politique. Oui, la clause de votre accord relative à l’amnistie des auteurs civils et militaires des tueries du 20 octobre 2022 (alors que massacres et tueries ont jalonné le règne de Kaka, depuis celles du 27 avril 2021 à N’Djamena, en passant par tout ce qui s’est passé dans nos différents villes et villages) heurte ma sensibilité. Un compromis politique construit contre l’exigence de vérité et de justice conduit à un État bancal, qui ne peut bien se tenir sur ses deux jambes. Si ton modèle est celui de Mandela, je voudrais te rappeler que Mandela n’a pas marchandé sa libération au dos du sang versé par ses partisans. Oui, les processus de réconciliation nationale exemplaires, de l’Afrique du Sud, du Rwanda et de bien d’autres pays passent par la vérité, par la justice, par le pardon, ils passent surtout par un consensus national impliquant les victimes. Ton retour, le retour des Transformateurs sur l’arène politique, ne peut et ne doit être fait au détriment de la justice…En tout cas, la période de deuil que tu comptes déclencher ne pourra jamais compenser la trahison de la mémoire des martyrs et la douleur des familles et amis qui attendent la justice ;
2. Deuxièmement, tu as pris sur toi, une fois de plus (une fois de trop ?) de discuter avec la junte au nom de tous les acteurs politiques. Bıen que, une foıs de plus, cela se présente comme une initiative louable parce qu’il s’agît de défendre les libertés fondamentales des citoyens et partis politiques et pour plus d’inclusivité de la transition, cette initiative individuelle me rappelle cette autre rencontre inopportune que tu as eu avec Idriss Deby Itno en février 2021 au sortir de laquelle tu étais mandaté par ce dernier pour lui ramener une proposition consensuelle. Je croyais que tu allais tirer les leçons de cette expérience et de cette autre initiative individuelle à savoir ces fameuses huit rencontres avec Mahamat Kaka au moment où les leaders relıgıeux et les sages s’évertuaient à réconcilier les protagonistes dans une démarche inclusive. Je ne sais pas comment tu comptes procéder cette fois-ci pour arriver à convaincre les acteurs politiques et de la société civile. J’espère que tu auras de la hauteur pour ne pas te rabaisser au rôle de recruteur et de marchand d’illusions au compte de la junte dans lequel se sont enfermés nos camarades qui ont choisi de changer les choses de l’intérieur. Face à l’impasse j’aimerais te faire une fois de plus (une fois de trop ?) les propositions suivantes pour te sortir du piège dans lequel tu t’es une fois de plus mis :
o Obtiens l’annulation des 4 ordonnances liberticides prises par la junte et soumis au conseil national de transition et qui constituent un recul, y compris par rapport à l’ordonnance de 1962 et obtiens à la place que de nouvelles lois et leurs décrets d’application consensuels soient élaborés ;
o Obtiens la suspension du processus d’organisation du referendum constitutionnel, même si cela enfreint à l’engagement que tu as pris de ne pas prolonger le délai fixé par le DNIS pour la fin de la période de transition. Il me semble que si un pouvoir issu des urnes peut réorganiser un processus référendaire, il n’est pas un acquis puisque tu ne t’inscris pas dans un schéma de respect des principes démocratiques défendus par la Charte de l’Union Africaine. Or, s’il y a un droit à défendre, c’est d’abord celui d’obtenir que le contrat social soit véritablement celui souhaité par la majorité, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui ;
o Exige l’ouverture d’un dialogue global, avec tous les acteurs politiques afin de reposer les problèmes de fonds, à savoir la construction d’une armée républicaine puissante, la réforme de la justice, les contours du respect par Mahamat Kaka des dispositions de l’Union Africaine en matière de changement anticonstitutionnel, la définition d’un processus de réconciliation nationale et la définition de la feuille de route en vue de la tenue du referendum constitutionnel et des élections crédibles, libres et transparentes.
3. Enfin, si je peux encore croire à la sincérité de ton engagement pour la justice et l’égalité, pour un système démocratique où le peuple choisit ceux qui doivent gérer la nation, tu dois te rendre compte au fonds de toi, comme nous après tant d’années de lutte, combien cette quête est dıffıcıle avec une France omniprésente sur la scène politique Tchadienne. Or, il devient de plus en plus évident que tu utilises, par realpolitik ou par naïveté, cette même France pour ta conquête politique mais ce qu’il convient en réalité de dıre c’est que cette France t’utilise pour casser les dynamiques d’unité des acteurs et de changement profond et valider ainsi le plan de succession dynastique. Les nombreuses sorties de Pr Franklin Nyamsi de ces derniers temps ne décrivent qu’une réalité que les acteurs politiques ont percé depuis longtemps mais qu’ils avaient eu l’amabilité de taire. Mais dès lors que les actes que tu es amené à poser ne sont mues que par des intérêts politiciens, alors que les autres acteurs travaillent dans un élan révolutionnaire et patriotique, il est peut-être venu le temps de nous dire les vérités afin d’aider à identifier le vrai du faux, d’indexer ceux qui cherchent le changement et ceux qui jouent avec la souffrance du peuple Tchadıen pour accéder à des strapontins. Oui, tu dois désormais faire l’effort de convaincre le peuple Tchadien sur ton engagement à contribuer à éradiquer le principal facteur d’instabilité, de division et de mauvaise gouvernance du Tchad, à savoir la France. La trajectoire politique que tu as prise, montre, pour nous, qu’il est désormais possible pour toi de faire avec la succession dynastique au lieu de l’abattre, de compétir avec Mahamat Kaka ou d’en être un allié politique dans le cadre des élections truquées à venir. Ce faisant, j’aimerais te dire que tu deviendras de facto un accompagnateur du plan de succession conçu et téléguidé par Paris, confirmant ce que disait Idriss Deby Itno à propos des changements politiques en Afrique. Oui, s’il y a bien des accompagnateurs chevronnés de Deby-père, nous sommes aujourd’hui inquiets que tous tes efforts soient déployés pour être accompagnateur attitré du fils. Tu devras, pour arrêter le saignement des cœurs des panafricanistes (i) signifier à l’opinion politique que cet accord ne cache pas un autre et (ıı) apporter ta contribution à la lutte panafricaine qui vise à court terme à mettre fin à la présence militaire française sur le sol Tchadien, présence humiliante pour la mémoire de tous ceux qui ont lutté pour notre indépendance, dangereuse pour la paix chez nos voisins et frères sahéliens mais encore plus incompréhensible pour notre Armée dont les capacités sont tant vantées en Afrique. 
Cher Succès,
Tu l’auras compris, ta posture autoproclamée mais non contestée de principal leader de l’opposition politique durant cette période de transition dynastique du pouvoir et qui transparait dans la signature de cet accord politique vient avec des exigences non seulement éthiques mais aussi d’engagement à porter la voix de tous. Bien que dans notre culture africaine, il est mal vu d’afficher une autosuffisance notoire, je dois te reconnaitre un certain talent et ton apport incontestable et significatif aux cotés d’autres acteurs pour le changement au Tchad. Il revient à toi désormais, après tous ces errements que les acteurs politiques t’ont concédé avec bienveillance, de construire sur ce talent ou de détruire les acquis collectifs en t’acoquinant avec ce plan de succession dynastique téléguidé. « Le premier ennemi d’une révolution c’est la confusion » disait Sékou Touré. Alors, il revient à toi, et il me semble pour ma part qu’il s’agit d’une dernière chance, de te départir de tes ambitions d’homme politique pour revêtir la stature de révolutionnaire. Nous avons le mois de novembre pour t’observer. Au bout de ce mois nous nous apercevrons bien si tu es rentré dans le rang des « changeurs de choses de l’intérieur » et d’accompagnateur de Kaka selon le souhait de Dr Ali Abdrahaman Haggar et des Français. La lutte que nous avons engagé pour la souveraineté, l’unité des Tchadiens et de l’Afrique, la justice, l’inclusion et le progrès se poursuivra, y compris pour obtenir justice pour les victimes de toutes les tueries sous le règne des Deby. Alors au lıeu de perdre du temps dans 40 jours d’hypocrisie, d’insulte et de versement de la dia aux familles endeuillées et à ceux qui sont définitivement marqués par les souffrances de ce drame des événements du 20 octobre 2022, tu devrais travailler d’arrache-pied avec ton frère Kaka pour corriger les fautes politiques entraînées par une ambition personnelle démesurée.
Cher Succès,
Pour finir, je sais ce que cette lettre à toı déclenchera. Tes partisans nous ont tellement habitué avec un comportement hystérique face aux critiques adressées a leur gourou. C’est leur sport favori que de lancer des attaques personnelles au lieu d’argumenter et convaincre. Et il me semble que tu y tires un plaisir, toi qui n’as pas eu la sagesse de les rappeler à l’ordre lorsqu’ils se sont violemment acharnés contre Pr Franklin Nyamsı à qui nous devons tous respect pour l’énorme travail qu’il fait pour l’Afrique, si tant est que tu te réclames panafricain. Alors si le Parti politique les Transformateurs est une secte au lieu d’être un parti révolutionnaire, sache que nous avons la carapace dure pour encaisser sans faillir et continuer à prôner la vérité libératrice qui conduit à la justice.
Ton frère Djoret.